Elisa M. Poggio
Jour 9, scène assassine
Dernière mise à jour : 22 mai
Non, j'ai beau faire, penser par scène plonge mon cerveau dans l'hébétude la plus totale. Pourtant, la scène est l'unité de base de la construction d'un roman, plusieurs auteurs plus mâtinés que moi la compare à une brique, à partir de laquelle vont s'ériger les murs, les ponts, les arches, les tours, les que sais-je-encore de votre roman.
La définition de la scène est au fond assez vague et varie d'un.e écrivant.e à l'autre : il s'agirait d'une sorte d'unité de temps, lieux, personnages et action, qui s'interromprait lorsque l'une de ces variables change. Ou pas. La décision est à la discrétion de chaque auteur.ice. Pour ma part, que ce soit lorsque je jette des idées de plan pour un projet ou même à la rédaction du premier jet. Et même lors des révisions et corrections, je suis incapable de penser "scène", comme si cette unité souple n'éveillait aucun écho dans mon cerveau bête et borné... Même pas pour une raison logique d'ailleurs, mon cerveau pense "chapitre". Là, vous riez : un chapitre c'est flou aussi, c'est une ou plusieurs scène mises bout à bout, avec une forme de cohérence interne. Qui s'interrompt quand... Une dynamique change ou une situation est résolue, le tout laissé à la discrétion de l'auteur.ice. (incroyable, ça change tout, n'est-ce pas ? Non ? Vraiment ?). Pourtant, je suis capable d'envisager en amont ce que je veux voir dans un chapitre, et de sentir quand il est temps de le finir. Ce n'est pas une science exacte et il y a des ratés, mais c'est une unité narrative à laquelle je peux me raccrocher pour naviguer dans un projet. Tandis qu'une scène, je serai déjà littéralement trois scènes plus loin avant de me rendre compte que je suis passée à autre chose. Alors qu'un chapitre me permet de mélanger plusieurs éléments, plusieurs scènes souvent sans pour autant avoir l'impression de perdre l'unité que je ressens au sein du chapitre. Absurde et douloureusement inexplicable ? Certes, mais c'est mon ressenti et j'ai eu beau essayer de creuser la question, je suis INCAPABLE de fonctionner par scène. J'ai essayé plusieurs méthodes de préparation de scènes, sur des cartes, des post-its à déplacer pour essayer de trouver le meilleur ordre narratif, rien à faire. Je finis toujours par me rendre compte que 1 : plus j'avance, plus j'en mets sur les post-its, et ça dépasse la cadre de la scène unique; 2 : au moment de la rédaction, je suis incapable de me tenir à ce découpage. (Une tendance que j'ai depuis les premiers devoirs de français du collège : faire un brouillon ? jamais, sinon je réécris tout différemment au moment de recopier. Conclusion, jamais de brouillon, hop-là !
Alors que jeter trois lignes de notes sur un chapitre, je sais à peu près où je vais et je me permets d'extrapoler sur le "thème" dudit chapitre. Idem pour les corrections. A peu près comme ça :

Et vous ? Allergique aux scènes, ou adeptes de ces étranges et démoniaques créatures ? Quel est votre processus ? L'unité narrative indispensable à votre santé mentale ?
Le conseil du jour
La Fontaine : patience et longueur de temps font plus que force, ni que rage.
Merci.
Je ne plaisante qu'à moitié, je sais qu'on vous l'a dit, répété jusqu'à l'écœurement. L'écriture est un art, l'art prend du temps, l'art prend son temps. Je sais que la tendance est à l'automatisation, voire aux IA qui font gagner du temps et simplifie les processus, mais pour tout ce qui vous sort de la tête et des tripes, il faut plus que cela. Il faut le temps de la réflexion, avant, pendant, après, il faut le temps de choisir les mots et de travailler leur bon ordre, puis de les corriger encore et encore. Le temps de les oublier et d'y revenir, encore et encore. Le temps des éditeurs, si vous choisissez de proposer votre roman par la voie dite traditionnelle. Le temps des échanges et des finalisations, le temps que tous ce travail atteigne un lectorat, d'une manière ou d'une autre. Le temps que les lecteurs lisent et commentent...
La création et l'édition sont de véritables machines à déformer le temps et ce qui accompagne naturellement ce phénomène, c'est le besoin de patience, ainsi que de sa charmante cousine la persévérance. L'usure est la porte ouverte au découragement, et prendre la décision d'affronter ce mal à chaque étape d'un projet est une condition pour arriver au bout. C'est un combat permanent, particulièrement dans le flot d'autres occupations et préoccupations, dans le moments où tout semble aller mal de toute façon, ou même quand on est trop fatigué pour rassembler encore davantage d'énergie pour un projet qui semble ne jamais devoir se terminer... C'est un engagement fort avec soi-même. Je dirais même que c'est la seule véritable difficulté du parcours : tenir bon et ne pas lâcher prise avant que le moment soit venu. C'est-à-dire le moment où votre œuvre s'en va vivre sa vie loin de vous.
Bon courages à toustes.